Lors de la retraite de février nous avons eu la chance de bénéficier du soutien de Marie-Christine pour les repas. Certains échanges impromptus que nous avons eus ensemble tournaient autour de l’attention et de la concentration.
Ce qui suit est une réponse rapide à une question qu’elle m’a posée il y a quelques jours sur le sujet : “J’ai compris que vous disiez qu’une trop grande concentration n’était pas forcément souhaitée. J’aimerais en connaitre les implications si c’est possible.”
Pour faire très bref, la concentration va conduire à un état plus ou moins profond d’absorption qui, s’il est trop profond, va empêcher le développement de l’attention. L’attention d’une certaine façon se trouve dans un mouvement contraire de l’esprit : on ne cherche pas à fixer l’esprit mais on définit un objet de méditation qui permet :
- de développer de façon minimale un peu de concentration (sinon il y a dispersion et agitation ou torpeur, etc.),
- de « voir » quand l’esprit est sollicité par l’un des six sens et se laisse capter par lui (ce qu’en anglais tu trouves généralement sous le vocable « to follow the condition »).
La concentration a un corollaire très agréable : un sentiment de tranquillité intérieure. Cette tranquillité est due au fait que l’esprit ne vagabonde plus à droite à gauche, le jeu des émotions s’interrompt – repos. Ce qui conduit bien souvent les débutants à la conclusion que leur sessions se sont bien déroulées s’ils en sont sortis apaisés ou qu’elles se sont mal passées, qu’ils ont mal « bossé », dans le cas contraire. Ce qui du point de vue de vipassana est une vision erronée de la pratique et potentiellement un obstacle à celle-ci.
La pratique de vipassana requiert une certaine concentration mais il ne peut y avoir d’attention que si l’esprit ne se laisse pas absorber par l’objet de la méditation. A l’inverse, la concentration ne requiert pas d’attention au sens vipassana du terme ; il faut de la vigilance dans les premiers temps pour ramener l’esprit à l’objet de méditation mais pas à proprement parler d’attention.
Plus la concentration est forte, plus le niveau d’absorption est profond, au point que l’esprit peut être totalement absorbé dans l’objet de méditation ou un nimitta (signe se développant au cours de la pratique) et se (con)fondre avec lui. C’est l’état de « appana samadhi ».
Du point de vue de vipassana, c’est là que les problèmes commencent : quand l’esprit fait l’expérience de appana samadhi, il échappe mécaniquement à l’expérience de l’impermanence, de la souffrance et du non soi (anicca, dukkha, anatta). Ce qui exclut de facto vipassana (insight, vue pénétrante). Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas de bénéfice à la pratique des états d’absorption profonds, mais ces bénéfices ne sont pas ce à quoi vise vipassana.
On entend assez souvent dire que les gens qui pratiquent vipassana en portant leur attention à la pointe du nez font en réalité une pratique de concentration. Je pense que si un pratiquant fixe « trop solidement » (on dirait alors qu’il y a « saisie ») le mouvement du ventre, il développe le même niveau de concentration et s’éloigne tout autant de l’attention. Le simple fait qu’il note « monter, descendre, assis, toucher, etc. » n’est pas en soi un gage d’attention.
Ces sujets sont très bien développés par Ajahn Sujiva dans les chapitres 12 et 13 de son ouvrage The essentials of insight meditation.